Quel framework CRO pour booster votre vélocité ?

Publié le 16 décembre 2022 | Pierre Losson

La meilleure façon de démarrer un programme CRO, c'est de tester votre vélocité. Combien d'expériences pouvez-vous conduire en deux semaines et pour quels enseignements ?

Derrière cette exigence découle un ordre de grandeur simple mais sous-estimé : le top 5% des expériences les plus performantes contribuent à 90% du revenu incrémental généré. Illustration CROMetrics, d'après l'étude de +5000 tests réalisés.

...autrement dit, tester le plus d'expériences possible reste le meilleur moyen de tomber sur le grââl : cet apprentissage qui vous fera réellement décoller.

vitesse ou l'importance de la vélocité en CRO

Un cadre de recherche adapté à votre activité permet de trouver des réponses aux questions que vous n'avez pas encore sû formuler. Il apporte suffisament de gouvernance pour atténuer vos biais, défendre vos priorités dans la durée et savoir quand itérer.

Dans cet article, j'explore un framework CRO complet inspiré du Design Sprint de Google : Qu'est-ce qu'on garde ? Qu'est-ce qu'on zappe ? Voici les clés pour l'adapter à votre propre journée.

1. Définir vos objectifs

Des objectifs précis et atteignables, c'est la garantie de créer de la valeur à chaque itération. Avant de chercher à confirmer une hypothèse, définissez les comportements que vous voulez influencer et une façon de les mesurer.

Une campagne CRO revêt des objectifs variés. Plus ils sont détaillés (par exemple, lorsqu'ils sont associés à un type de trafic, un contexte promotionnel ou un argument clé particulier), plus vous accentuez votre recherche sur un usage précis. Vous créerez de la connaissance à plus forte valeur ajoutée.

De nombreuses méthodes définissent des critères pour valider vos objectifs (SMART, WOOP, CRAFT, ALPEN, etc.) dans cette grande valse des acronymes, je vous invite à en privilégier deux :

  • Définissez l'objectif business : écrivez la mécanique par laquelle votre objectif CRO contribue à l'objectif business de votre entreprise. Ça paraît évident ? Tant mieux. C'est le signe que vos résultats seront attendus par tous, vous tenez un outil de communication.
  • Définissez le revenu : dans quelles proportion un uplift va-t-il contribuer au revenu ? Chiffrer ses objectifs dans un effort de prévision permet d'une part de les prioriser, mais surtout de progresser. C'est le meilleur moyen de lutter contre ses biais.

Un objectif construit autour de ces deux piliers vous permet facilement de prioriser, défendre ou s'arrêter. Ils vous guide durant toute la phase de recherche comme le premier garant de votre vélocité.

Les micro-conversions sont un bon point de départ pour définir des objectifs précis, par exemple :

  • Mieux comprendre la friction liée à tel formulaire
  • Améliorer le taux d’ajout au panier d'une référence en particulier
  • Mieux transformer le trafic issu d'une source ou d'un groupe de canaux spécifique
  • Augmenter le panier moyen auprès d’une audience ayant telle ou telle caractéristique
  • etc...

Une cible précise permet de constituer des échantillons fiables : plus vous l'élargissez, plus vous risquez de disperser l'apprentissage.

Par exemple, si vous n'avez pas exclu votre propre trafic referral, (celui qui provient de vos pages de paiement, support et apps externalisées) : précisez les sources concernées par votre objectif pour gagner en fiabilité.

2. Alimenter votre recherche

La phase de recherche permet de formuler des hypothèses sur les causes réelles de vos obstacles à la conversion.

D’après une étude de ConversionRate Store, les hypothèses qui n'établissent pas de lien de cause à effet direct entre un changement et le comportement attendu ont des taux de succès 2 à 10 fois moins élevés.

Pour gagner en vélocité, je vous conseille de dérisquer cette étape en adoptant une approche scientifique de votre connaissance utilisateurs.

les étapes clé d'un framework CRO (optimisation du taux de conversion)

Autrement dit, ne cherchez pas à valider vos intuitions mais à formuler des observations dans une séquence d'approfondissements qualitatifs et quantitatifs.

L'étude quali : une séquence de narration approfondie.

L'approche qualitative n'est pas là pour faire le tri. Vous cherchez à lister toutes les raisons possibles d'un comportement utilisateur lié à votre objectif.

On parle plus généralement d'insights. Plus il y en a, plus vous étoffez les pistes en faveur d'une relation de cause à effet.

Ne "comptez pas" durant cette séquence : il peut y avoir autant de raisons différentes qu’un phénomène se produise que de fois où il se produit.

Vous cherchez des signaux plus ou moins évidents qui répondent à un ensemble de questions.

  • Que pensent les utilisateurs de vos produits ou services ?
  • Quelles hésitations rencontrent-ils avant l’achat ?
  • Quelles sont les causes exactes de l’abandon panier ?
  • Quelles objections évoquent-ils à vous lire ?
  • Quelles alternatives vont-ils considérer ?
  • Qu’ont-ils pensé de l’expérience d’achat ?
  • Quelle confiance accordent-ils à votre marque ?
  • Quel est le premier attribut qui leur vient à l’esprit ?
  • Quel niveau de frustration expriment-ils en cas de rebond ?
  • Quelles analogies ou parallèlent se figurent-ils ?
  • Etc.

Mettez ces questions à l'épreuve de la matière. Ce sont les avis laissés par vos utilisateurs, les mots clés de recherche et vos outils d'observation :

  • Feedbacks : Qualaroo, Crazy Egg, Hotjar, WebEngage
  • Enregistrement de sessions : Lucky Orange, Hotjar, FullSession, Mouseflow
  • Test UX : Maze, Userfeel, Qualaroo, UserTesting
  • Etc.

Détachez votre attention d’un contexte particulier et notez tous les insights, du plus trivial au plus tortueux.

L'étude quanti : une recherche de faits concrets.

La recherche qualitative tente de définir le pourquoi du comportement utilisateur. La recherche quantitative indique plutôt comment, où et combien.

Quelles sont les principales entrées de votre site ? Par où vos visiteurs sortent-ils ? Quels sont les liens ignorés ? D'où viennent les utilisateurs qui convertissent le plus ? Et ceux dont les paniers sont les plus élevés ?

Les données quantitatives sont essentielles pour construire vos hypothèses à partir d'informations objectives sur le comportement de vos utilisateurs. Elles définissent aussi vos ordres de grandeur.

À l'aide de vos outils d'analyse, vous cherchez à définir :

  • D’où viennent-vos visiteurs et que font-ils sur votre site ?
  • Quel est leur parcours et par où quittent-ils votre site ?

Mais aussi, comment les fonctionnalités de votre site façonnent leur comportement.

  • Quelles pages sont les plus et moins visitées ?
  • Quels liens sont cliqués ou ignorés ?
  • Quel usage font-ils de votre menu, footer, navigation ?
  • Combien de temps passent-ils sur chaque landing page ?
  • Quel est l'impact d'un asset placé sur leur parcours ?
  • Etc.
  • Vous cherchez des insights objectives à partir de chiffres concrets, validés. Ne vous fiez pas à un seul outil au risque de passer à côté d'informations clé, mais composez votre palette avec des solutions que vous maîtrisez parmi :

    • Webanalytics :GA, Matomo, Plausible, Adobe, Piwik
    • Cartes thermiques : Hotjar, Crazy Egg, HeatMap
    • Entonnoirs : GA, Plerdy, Visitor Analytics
    • CSAT : Klaus, Nicereply, Lumoa
    • NPS : Hotjar, Qualaroo, Survicate

    Ce qui garantit la fiabilité de vos données : c'est leur reproductibilité. Utilisez des filtres, segments et comparaisons pour zoomer sur des contextes, affiner vos observations et vérifier leur persistance.

    3. Construire vos hypothèses

    Les hypothèses sont essentielles. C’est la synthèse de votre recherche qui permet de justifier vos choix d’amélioration, même en cas d’échec.

    En général, elle se décline en 3 parties :

    • Une distinction particulière (ou un changement observé) qui s’explique précisément, à partir de vos données qualitatives et quantitatives.
    • Un effet particulier : un élément concret qui nécessite une amélioration.
    • Une raison particulière : une explication qui justifie pourquoi un tel changement peut avoir l’effet désiré.

    Pour prendre un exemple, "je pense qu'ajouter des preuves sociales dans l'expérience de cross-sell permet d'augmenter taux d'ajout au panier de 3 à 6% parcequ'elles renforcent la confiance en illustrant des cas d'usage. Un tiers des utilisateurs qui achètent un deuxième article sont d'abord revenus consulter les avis d'autres client après avoir ajouté le premier article".

    A contrario, "je pense qu’il faut combiner les fonctionnalités de tri et de filtre d’une page catégorie comme le font la plupart des sites présents sur notre marché" ne vous apportera pas beaucoup d'apprentissages.

    Définissez des hypothèses précises. Si vous avez sû collecter une preuve authentique de votre observation, alors vous êtes sur le point de constituer un enseignement, même si vous vous trompez.

    Le modèle LIFT™

    Le modèle LIFT™ de Chris Goward (WiderFunnel) est l’un des plus utilisés pour définir des hypothèses en CRO. Il a même fait l’objet d’un brevet !

    Dans la peau de vos utilisateurs, vous évaluez les pages de votre site à travers 6 critères à fort impact sur votre taux de conversion : facteurs et inhibiteurs.

    comprendre le mindset des stratégies d'optimisation de la conversion
    • La proposition de valeur : le rapport coût-bénéfice qui détermine la motivation de vos utilisateurs
    • La pertinence : l’adéquation entre la source qui génère le trafic et la page qui accueille ce dernier
    • La clarté : votre page permet-elle de comprendre votre proposition de valeur et vos CTA en un coup d’oeil ?
    • L’urgence : y’a-t-il une raison particulière pour laquelle l’utilisateur devrait passer à l’achat ?
    • L’anxieté : les réticences potentielles de vos visiteurs à l’achat
    • La distraction : les choix trop complexes ou les éléments superflus qui limitent la portée de vos messages et la visibilités de vos CTA

    4. Prioriser vos hypothèses

    Construire une hypothèse peut prendre quelques minutes mais la tester peut prendre jusqu'à deux semaines selon votre trafic.

    À cette étape, vous cherchez à prioriser vos hypothèses pour optimiser votre bande passante : le nombre d'utilisateurs auxquels vous présentez un test sur une période donnée, moins ceux qui servent de groupe de contrôle.

    Votre objectif n'est pas de deviner quels tests feront le plus de revenu, mais de maximiser le nombre et la qualité des enseignements.

    La DoD, Definition of Done

    Héritée du conseil, la DoD revient à définir un ensemble de critères d'acceptation qui valident la livraison ou la mise en production d'un projet.

    Elle peut aussi servir à prioriser les hypothèses de votre programme CRO afin de dérisquer vos tests.

    Par exemple, vous pouvez définir une hypothèse comme valable dès lorsqu'elle :

    • Répond à l'objectif de votre programme CRO
    • Confirme ou infirme un résultat de votre recherche
    • Cible assez précisément vos utilisateurs pour ne pas introduire de biais
    • Cible suffisament d'utilisateurs pour être testée en 2 semaines max
    • Valide tous les critères du modèle LIFT™
    • Est mesurable via un ratio et en revenu

    Les outils de scoring

    Si vous avez déjà défini de nombreuses hypothèses, une démarche objective de scoring permet aussi de maintenir cette exigence de qualité. Parmi les plus connus :

    • Le Scoring ICE créé par Sean Ellis consiste à noter vos hypothèses de 1 à 10 selon les critères de l’acronyme ICE : Impact, Confidence, Ease. Plus le score est élevé, plus l’hypothèse devient prioritaire.
    • Le framework PIE de Chris Goward reprend les mêmes principes sous les critères : Potential, Importance, Ease
    • Développé par CXL, le framework de priorisation PXL définit 10 critères de pertinence et permet d’aborder la facilité d’implémentation avec plus de perspective.
    • L’AI-Score de KonversionKRAFT pour Aufwand (effort) / Impact plus l'impact est élevé et plus l'effort de mise en œuvre est faible, plus l'idée est bonne et donc, sa priorité élevée, c’est mécanique. (c’est allemand !)

    Quel que soit le modèle que vous choisirez, le scoring fournit un outil précis pour définir les hypothèses qui valent vraiment le coup d’être testées.

    Néanmoins, si certaines observations vous aparaissent comme de vraies faiblesses sur votre tunnel de vente, il ne faut pas tergiverser et les tester en premier : la prio des prio, c'est d'éviter de remplir un seau percé.

    5. L'épreuve des tests

    C’est l’étape critique mais aussi la plus excitante ! Vous testez (enfin) votre hypothèse n°1, pour déterminer son potentiel ROI.

    Classiquement, vous avez recours à deux méthodes différentes.

    • Les A/B tests simples (ou tests fractionnés – split testing lorsque le test recours à deux URLs différents) c’est la méthode la plus évidente ; elle consiste à comparer deux variations d’une expérience pour voir laquelle est la plus performante du test ou de la version de contrôle.
    • Les AB tests multivariés impliquent plusieurs hypothèses en simultané grâce à un outil d’AB testing, afin de déduire des “combinaisons optimales”.

    Lorsqu’une expérience présente un taux de conversion supérieur à une autre, on parle d’uplift.

    Un uplift négatif correspond à un meilleur resultat observé sur votre version de contrôle que sur votre nouvelle expérience.

    Bayésien ou fréquentiste ?

    Plusieurs méthodes servent à valider vos tests. En statistique, on dit qu’ils sont significatifs lorsqu’on prouve qu’il est peu probable que les résultats observés soient le fruit du hasard.

    La significativité est directement liée à la taille de votre échantillon statistique. Plus il est grand plus c'est fiable. Il peut aussi être influencé par forte variation entre vos résultats, plus l’une version fait l’unanimité plus votre test sera fiable.

    L’approche fréquentiste est la méthode de validation par défaut de tous les outils d’AB testing.

    Elle se concentre uniquement sur les données de votre expérience pour déterminer la significativité appelée “valeur-p” (ou p-value).

    Autrement dit, si la valeur-p est faible, la probabilité qu’il y ait réellement une différence dans ce test est faible : si c'est la seule façon de la tester, votre hypothèse perd de sa valeur.

    Par exemple, vous testez deux version d’un call-to-action pendant une semaine, observez que le CTA “A” convertit mieux que le CTA “B” avec une valeur-p élevée pour valider votre test, vous déduirez que le CTA “A” fonctionne mieux.

    Dans l’approche Bayésienne, on utilise les données d’expériences précédentes (les à priori) en plus de celles de l’expérience actuelle (les preuves) afin de déterminer si les preuves influent bien sur les à priori.

    Cette approche est particulièrement utile lorsqu’on mène de nombreux tests et qu’on souhaite observer des résultats en cours, sans attendre d’avoir un échantillon aussi important qu’avec l’approche fréquentiste.

    Voici quelques outils pour réaliser vos tests :

    • AB Testing : AB Tasty, Optimizely, Adobe Target, AB Smartly
    • Cartes thermiques : Hotjar, Smartlook fullstory
    • Analyse : Woopra, GA (modulo un bonne gouvernance), mixpanel, Hotjar

    6. Consolider vos apprentissages

    C’est le moment de tirer vos conclusions. En fonction de vos résultats et de vos objectifs, vous pouvez décider :

    • d’itérer : repartir sur une nouvelle expérience afin d’approfondir un enseignement suffisamment intéressant.
    • d’implémenter vos résultats en déterminant le poids de l'expérience dans le chiffrage de l’objectif et son coût de déploiement éventuel.
    • d’en rester là parce que les résultats ou le coût d’implémentation de votre hypothèse ne sont pas rentables.

    Quoiqu'il en soit, la qualité et le nombre d’expériences réalisées sont pas les seuls facteurs essentiels pour créer de la valeur : il est impératif de consigner vos résultats et communiquer régulièrement les connaissances acquises.

    Savoir ce qui s'est passé dans vos expériences passées influera sur chaque étape de vos prochaines itérations. —Vous créerez de meilleures hypothèses, serez plus fin dans votre recherche, prioriserez plus efficacement, etc.

    Avant de préparer une nouvelle boucle d’itération, tenez à jour votre journal de bord CRO :

    • Quels objectifs ont été définis et pourquoi ?
    • Quelles hypothèses ont été testées et pourquoi ?
    • Quel est l’état, le statut des tests réalisé ?
    • Quels tests ont été un succès, un échec et pourquoi ?
    • Par quel moyens peut-on s’en assurer à nouveau ?

    Partager vos résultats, c’est assurer du soutien de vos parties-prenantes dans votre démarche CRO. Être en mesure de proposer de nouveaux enseignements chaque semaine, c'est ce qui garantit la survie de votre programme, même lorsque des résultats flagrants peinent à se montrer.

    Veillez à expliquer en quoi vos objectifs font le lien avec les USP, le Why et les valeurs de votre entreprise.

    Lorsque vous parviendrez à infuser vos enseignements auprès d'autres pôles (votre équipe marketing, votre service client, les comptes-clés, etc…) alors vous libérerez le maximum de valeur de votre stratégie CRO.